Avec l'accord de l'intéressé, je (re)publie aujourd'hui sur mon blog ce billet, daté du 20/5/2011, de Raphaël MAUNIER aujourd'hui CSO chez Jaguar Networks, toujours membre actif de l'association Opérateur de Peering (IXP) France-IX..., consacré à la problématique du Peering, du Transit..., de la Neutralité du Net.
Raphael se présente sur son blog perso comme un "Globe-Trotter du Peering"..., et est expert de l'organisation des échanges inter-AS, au sens des Autonomous Systems bien sûr! Rien à voir donc avec un quelconque Belmondo (merci AlloCiné) reconverti dans l'Internet... Et comme "ce qui se conçoit bien, s'énonce bien"... le billet de Raphael est d'une grande utilité lorsqu'on veut se recaler les idées sur ce vaste sujet, par sa simplicité et grande limpidité!
L'actualité des derniers jours a en effet été riche sur la thématique du "peering" au sens large, et m'a conduit à revenir aux "fondamentaux"...:
- publication du Communiqué de l'Autorité de la Concurrence, assorti de sa décision..., publication suivie du rappel de l'avis de l'ARCEP (transmis en 11/2011), sur le dossier conflictuel opposant Cogent à Orange/Open Transit
- saisine de l'UFC auprès de l'ARCEP et de la DGCCRF et de son Ministre de Tutelle Benoit Hamon, relative aux difficultés des abonnés (fixe et Mobile) du FAI Free à accéder aux Contenus de Youtube de "façon fluide"...
- dépôt d'une proposition de Loi sur la Net Neutralité, par la député Laure de la Raudière, faisant suite à son rapport de mission sur le même sujet (vu au niveau Européen) co-écrit avec la député Corinne Erhel, publié en avril 2012,
- publication par l'ARCEP de son rapport au Parlement sur la Neutralité du Net
- articles relatifs sur la Tribune et Le Monde (voir sur twitter les liens fournis par respectivement @DelphineCuny et @Solwii ...)
L'occasion, pour moi, de renvoyer le lecteur, pour compléter sa connaissance du sujet :
- au Blog de Stéphane Bortzmeyer, autre "guru" national, et dans son cas, de l'Internet, de ses protocoles, des RFC qui les définissent, de leur mise en oeuvre... Dans ce blog "très touffu" au sens de sa richesse, je suggère ce point de vue de l'auteur sur la "Neutralité du Net" pour commencer avec de nombreux renvois bibliographiques sur d'autres publications... y compris des contributions et ITW de R. Maunier (dont ceux de Nicolas Guillaume) et de J. Coulon de Cedexis... L'occasion de découvrir et comprendre "BGP" et ses finesses! Le lecteur fera le lien avec "la Bordure du réseau de l'ISP/CDN" dont parle Raphaël dans son billet !
- aux interventions / publications de Benjamin Bayart (FDN) qui nous explique Internet et sa vision de la Neutralité du Net, dont cette dernière à l'occasion de PSES en ... juin dernier, avec une thématique élargie!
NB: les (Neo)Geek qui voudront en savoir plus sur les AS, les AS Numbers et les "Lieux et Capacité de Peering des AS" pourront consulter (entre autres) ce site "Base de Données de Peering" ; Ils pourront aussi s'ils aiment les belles cartes et ont le goût des voyages virtuels... consulter ce site d'OVH (FAI et hébergeur basé, historiquement, à Roubaix...) dédié à son réseau!
Dernier point, ayant motivé cette (re) publication : celui de l'égalité des territoires devant l'Interco et le Peering cf :
- la problématique des collectes en "transport" régional et/ou national
- les capacités/facilités et "coûts de peering" associés des FAI Locaux qui viennent de plus en plus proposer leurs services sur les R.I.P. Haut et Très Haut Débit (FttH), à défaut de pouvoir le faire sur les plaques AMII...
Voici un sujet qui devrait être mieux considéré par l'Etat, son Administration et ses Autorités: ARCEP, AC ... en attendant le CSA "celui qui régule (ou tente) l'ancêtre d'Internet"... Voilà un bon sujet pour la fédération des RIP et celles de leurs Industriels partenaires, juste après le Référentiel Fibre Commun (RFC), les offres activées (neutres) sur plaques FttH, les catalogues de services de "gros" unifiés...
En deux mots, peut-on sérieusement envisager du point de vue "end-user", de reproduire en zone AMII, ce qui fait débat aujourd'hui sur les réseaux *DSL, qui plus est en réduisant le choix des abonnés entre les 2, voire 3 seules offres FttH des co-investisseurs d'une plaque AMII, ie celles de leurs entités "Opérateur Commercial" (FAI), seules bénéficiaires de la capacité financière de déploiement d'actifs (pour activer le réseau optique sur le circuit NRO-DTIO) de leurs "maisons mères" respectives... Et de leur laisser distribuer l'Internet avec LA conception (juste "managée" dans le meilleur des cas) qui leur va bien de la Net Neutralité!
NB: voir à ce sujet un autre billet de R. Maunier... sachant que, depuis, la volonté de sortir du modèle "Village Gaulois" a vu le jour! Notamment à Aurillac, récemment...
Le billet "copyleft" de Raphaël:
Le texte avait été publié sous le titre : "Vis ma vie dans un réseau : Visiblement ça rame…”,... et a priori, vu l'actualité de ces derniers jours... cela ne s'est pas arrangé!!
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Il n’est plus rare de voir les utilisateurs signaler à de multiples reprises des ralentissements et un service dégradé vers des sites populaires comme Youtube,Dailymotion, Megaupload.
Sont montrés du doigt par l’ensemble des “plaignants”, les fournisseurs d’accès Internet qui selon eux ne mettent pas les moyens pour fournir le service pour lequel leurs abonnés paient.
Toutefois, nous voyons de plus en plus d’analyses de la situation dans la presse avec des conclusions qui ne prennent pas du tout en compte les aspects techniques structurant d’un ISP ou d’un fournisseur de contenu.
La plupart des “solutions” ne sont pas réalisables soit rapidement, financièrement ou même techniquement.
Je crois qu’il est important de comprendre avant toute chose qu’une infrastructure d’un ISP n’est pas une infrastructure plate et simple à manager.
On ne résout pas une saturation d’un coup de baguette magique et on n’est pas non plus devin… et donc en aucun cas capable d’éviter 100% des problèmes. Les problématiques d’upgrade ne peuvent, à mon sens, n’être vraiment comprises que si l’on a vraiment pu vivre de l’intérieur la croissance exponentielle du trafic chez un ISP.
Avant toute chose Il faut bien comprendre la différence fondamentale entre les fournisseurs de contenus et les ISP. Voici une interprétation technique basique…
Fournisseur de Contenu :
Il a aujourd’hui une infrastructure qui reste, généralement, concentrée en de multiple nœuds.
Les besoins d’infrastructure (je ne vais pas tout lister) indispensables sont de la colocation avec de l’électricité (beaucoup), un peu d’infrastructure de transmission (longueur d’onde ou fibre) et de la connectivité (transit et peering).
Les plus gros besoins en matériel sont des serveurs, du stockage et des routeurs.
Pour des raisons de redondance, les infrastructures de distribution sont réparties sur plusieurs sites, qui peuvent (doivent ?) être répartis dans géographiquement dans plusieurs datacenters qu’ils soient dans la même ville ou des pays différents, cela importe peu (sauf pour la latence).
Ce genre d’acteur est à la pointe des technologies d’hébergement et doit être très ingénieux pour croitre pour tenter de maitriser ses coûts. Les besoins en bande passante restent cependant très géolocalisés et concentrés ce qui rend plus facile la gestion du trafic.
Le “focus” est mis sur la redondance des plateformes de distribution.
Fournisseur d’accès Internet (FAI / ISP) :
Un fournisseur d’accès internet a quant-à lui une infrastructure qui est globale sur une ville, un pays, un continent, ou dans certains cas mondial. Les besoins d’infrastructure sont de la colocation, de la transmission en masse, et de la connectivité (transit ou peering)
Les plus gros besoins en matériel sont des routeurs, des équipements de transmissions.
Pour des raisons économiques, un fournisseur d’accès Internet qui a une vision nationale devra s’implanter dans de multiples endroits et devra maitriser sa croissance en déployant sa propre infrastructure de transmission en national.
Il devra donc soit construire ses propres liaisons de fibre ou prendre des IRU chez des fournisseurs qui auront déjà déployé un réseau.
Il faut savoir que déployer un réseau national allumé n’est pas simplement un achat d’équipement de transmission, mais également des contrats d’hébergement sur l’ensemble du tracé de votre fibre, des humains disponible 24/7 (qu’ils soient internes ou externes) pour les interventions sur votre matériel en cas de panne. Dans la plupart des contrats d’IRU, vous n’avez pas cette maintenance et vous devez donc vous en occuper.
Avec cette infrastructure, vous n’avez que votre dorsale et vous n’avez pas encore un seul client connecté.
Il faut maintenant s’occuper de ce qu’on appelle le “last mile” (desserte) et aller chercher vos abonnés.
En France, la technologie qui est la plus répandue est l’ADSL. La plupart des gros fournisseurs font du dégroupage de NRA et installent donc leur propre DSLAM.
Il faut donc rajouter la transmission ( fibre ou lambda) vers ces NRA et prendre des contrats d’hébergement, il faut également maintenir les équipements ( contrats de gestion, contrat de maintenance … )
Nous avons la deux infrastructures complètement différentes avec des enjeux qui ne font qu’un : servir l’abonné.
Comment ces deux acteurs peuvent communiquer en ayant une qualité optimale ?
Le principe est le suivant :
- Vous avez une infrastructure réseau
- Vous avez des transitaires (opérateurs de transit IP)
- Vous faites du peering : Que ce soit sur des points d’échanges (IXP) ou des peering privés (PNI) si la capacité à échanger est très importante
- Pour un CDN (réseau de diffusion de contenus), vous pouvez également être hébergé directement sur l’infrastructure de l’ISP
- Pour un ISP, vous pouvez accessoirement vendre du transit
Le rôle de l’ISP est à la base de fournir de la connectivité à ses abonnes avec une qualité suffisante. Il y a ensuite les services de téléphonie, de vidéo qui se rajoutent par-dessus.
L’ISP doit donc faire de son mieux pour atteindre le contenu, que cela passe par ses transitaires ou en direct.
Lorsque le CDN a de l’infrastructure à proximité, il est simple de s’interconnecter avec lui (via IXP ou PNI) en garantissant une qualité maximale et un coût réduit car il n’y a pas de transitaires entre le CDN et l’ISP.
Il est également possible pour le CDN d’avoir son infrastructure au plus proche de l’abonné en installant directement dans l’infrastructure de l’ISP. Dans le cadre d’une utilisation normale de la bande passante, nous sommes la dans une situation WIN-WIN entre les deux parties.
Il s’avère que la nature a horreur du vide, et que plus la qualité est bonne, plus les tuyaux se remplissent. Cela se confirme si l’on regarde les courbes de trafic des IXP comme AMS-IX, LINX, DECIX, ou FRANCE-IX.
L’utilisation que nous avons d’Internet fait que cela va s’amplifier et les ISP et CDN doivent de plus en plus augmenter la capacité qu’ils ont en bordure de leur réseau.
D’un point de vue technique en bordure c’est extrêmement simple, les deux parties augmentent les capacités soit sur les IXP ou leurs PNI, upgradent un peu les intercos entre les routeurs cœurs et les coûts restent assez limité.
Le CDN doit quant à lui rajouter des serveurs, augmenter son hébergement (…). D’un autre côté, l’ISP, doit upgrader son backbone national et le backhaul (collecte, voir schéma page 1) vers les DSLAMS.
Et c’est bien la toute la source du problème. La plupart des ISP estiment que l’effort qu’il doit faire par rapport au CDN n’est pas équitable. L’ISP demande donc une participation au CDN.
Les premières solutions des CDN étaient une régionalisation et une installation directement sur l’infrastructure de l’ISP.
Cette architecture est optimale pour le CDN, l’ISP, et surtout l’abonné. Le contenu est au plus proche, le CDN et l’ISP ne paient pas de transitaires, et l’ISP n’a pas à upgrader l’ensemble de son réseau. EN clair : tout va bien, nous avons résolu les soucis sur Internet.
En réalité, si c’était simple,… ce serait ennuyeux.
Il faut savoir que les infrastructures d’hébergement en régions ne sont pas au même niveau, tarif, densité, disponibilité que celle que nous avons dans les grandes villes. La plupart des ISP ne souhaitent pas avoir à gérer de gros datacenters et n’ont dans la plupart des cas, pas d’offres d’hébergement ni même d’équipes pour gérer le “remote hand”. Et investir pour 1 ou 2 clients potentiels n’est pas économiquement viable.
De plus, les capacités demandées en énergie ne cessent d’augmenter : les investissements pour ce genre de solution seraient donc sans fin. Il faut également rajouter que cela ne pourrait concerner que les fournisseurs de contenu qui sont en mesure de “CDNiser”.
Quand bien même qu’un ISP décide de prendre le risque et de proposer ce type d’hébergement, les coûts associés seraient tellement colossaux, que le prix final restera plus cher que l’achat de transit directement dans leur datacenter principal.
Au final, il est beaucoup plus simple de continuer d’envoyer votre trafic sur le transit et de ne pas commencer à faire des déploiements d’optimisation des couts qui seraient beaucoup plus chers que le prix du transit.
Qui doit payer ?
Chacun l’aura compris, l’ISP et le fournisseur de contenu restent tout de même des sociétés commerciales… pourquoi mettre en place des solutions qui coûtent beaucoup plus cher que des solutions simples.
Les ISP ont donc trouvé la solution ultime, le paid-peering. Ou interconnexion privée payante.
En gros, le message est le suivant : “Vous ne voulez pas payer votre transitaire, vous voulez avoir une bonne qualité vers mes abonnés, je vous propose donc de m’acheter ce trafic. Nous allons éviter un intermédiaire, et nous allons faire en sorte de bâtir un Internet meilleur”.
A cela répond le CDN : “Vous gagnez de l’argent de vos abonnés, ils paient pour vos upgrades, il n’est pas question que je vous paie pour ça”.
Dans le principe, les deux parties ont raison. Cependant, la capacité qu’ont les CDN à envoyer énormément de trafic vers un ISP est tellement importante qu’il y a un déséquilibre qui se créé.
Comme je l’ai évoqué plus haut, les upgrades d’un ISP sont nettement plus coûteuses que celle d’un CDN. Ce ne sont pas des suppositions, mais des faits, je ne vois pas comment il est possible de supposer le contraire.
Alors, pourquoi les ISP préfèrent payer du transit plutôt que d’échanger en direct avec les CDN ?
Il y a plusieurs cas. Voyons quelques uns d’entre-eux:
1/ Le premier cas :
- CDN utilise un TRANSIT A
- ISP utilise un TRANSIT B + TRANSIT C
- TRANSIT A peer avec TRANSIT B
- TRANSIT A peer avec TRANSIT C
- TRANSIT C peer avec TRANSIT B
Nous avons une latence plus élevée entre le CDN est l’ISP, le débit sera alors moins important.
Les interco entre les différents acteurs peuvent à tout moment être saturées et donc le débit sera moins important.
2/ Seconde possibilité :
- CDN utilise un TRANSIT A
- ISP utilise un TRANSIT A + TRANSIT B + TRANSIT C
- TRANSIT A peer avec TRANSIT B
- TRANSIT A peer avec TRANSIT C
- TRANSIT C peer avec TRANSIT B
Cependant, astuce, ISP est tellement gros qu’il n’est pas possible de faire en sorte que ses abonnés soient visible dans son intégralité vers TRANSIT B ou TRANSIT C. Dans ce cas, nous nous retrouvons dans des situations aléatoires de ce type :
- CDN <–> TRANSIT A <–> ISP
- CDN <–> TRANSIT A <–> TRANSIT B <–> ISP
- CDN <–> TRANSIT A <–> TRANSIT C <–> ISP
La probabilité d’avoir un problème de saturation est extrêmement élevée et souvent n’est pas liée ni au CDN ni à l’ISP.
Au final, les effets de bords de saturation, de latence du contenu vers les ISP permettent de ne pas avoir un débit qui augmente de manière folle et permet financer les upgrades avec les abonnements.
Sommes-nous vraiment dans une situation de Blocage ?
Il est difficile de répondre directement à cette question…. en clair : Oui et Non. Les ISP et CDN discutent entre eux et tentent de trouver des solutions qui puissent satisfaire les deux parties et surtout - à la fin de la chaîne - les abonnés.
Cependant, les lourdeurs administratives et très souvent juridiques font que lorsqu’il y a un incident, ils sont paralysés et quoiqu’ils fassent, il n’est pas rare de voir se passer plusieurs trimestres avant qu’un accord soit conclu et pas moins pour son implémentation.
Il ne faut pas non plus excuser 100% des ISP, certains savent où se situe la valeur et essaient d’être beaucoup trop gourmands.
Dans ce cas, nous sommes vraiment dans une situation de blocage, et pour le coup, le CDN aura vraiment tout intérêt à ne pas accepter cet accord.
Quoiqu’il en soit l’opinion publique sera tout le temps contre les ISP (qu’ils soient de bonne volonté ou non) et ils seront toujours montrés du doigt comme étant l’élément bloquant et de ce fait celui qui affecte la neutralité du net.
Ce thème est actuellement d’actualité, il nécessiterait à lui seul un article complet.
Pour conclure, lorsqu’il y a un incident, il est difficile de situer exactement à quel endroit est le problème.
Si vous en êtes l’origine, vous n’allez rien dire, si vous le subissez, vous n’êtes souvent pas en mesure de savoir si c’est voulu ou non…
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Merci Raphaël Maunier !
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